Les honneurs à Martí et à d'autres martyrs
Monsieur Manuel A. de Varona.
Premier Ministre et Président de la Commission Pro-Monument à Martí.
Monsieur.
Même si vous avez déjà reçu l’opportune communication officielle, je me permets de vous adresser ces paragraphes en relation avec l'accord pris par la Junte des Patrons de la Bibliothèque Nationale lors de la session du neuf de ce mois, pour laquelle le palais qui sera construit sur les terrains acquis précisément pour cette institution supérieure de la culture cubaine soit appelée Bibliothèque Nationale Martí, comme dévouement éternel à la gloire de l'Apôtre.
Sans doute, indépendamment de l'hommage devant être rendu à tout moment par les Cubains à Martí, au moyen du pur et effectif suivi de ses idéals, cette dédicace est le plus digne et insurmontable, vivant et fécond hommage, que remercierait le plus l'esprit de Martí, celui que la République de Cuba peut offrir à son créateur à l’occasion de son très prochain centenaire pour lequel on accélère la réalisation du projet d'un grand monument sculptural sur la place qui devra aussi porter son nom, où l’on devra construire le palais d'une architecture ornementale que sera cette Bibliothèque Nationale Martí et dont l'œuvre pourra immédiatement être commencer par ce Patronat qui coordonne avec urgence les exigences techniques de son architecture avec les plans d’urbanisation et les conditions topographiques de ces terrains. Dans cet ensemble d'œuvres artistiques avec lequel le peuple cubain honorera son éponyme, la bibliothèque sera un hommage fonctionnel, comme lampe votive qui illuminera éternellement la mémoire de ce Cubain dont toute la vie fut une ardente flambée du feu de la patrie et une lumière de la pensée universelle.
Il ne semble pas que l'on puisse présenter un autre nom qui surpasse celui de Martí en mérites, en symbolisme et en convenances nationales pour la Bibliothèque de la nation, et par conséquent il devra acquérir une résonance internationale maximale. Cette dénomination a, en outre, l'importance pratique d'éviter la possibilité tentante qu'un certain jour, avec le passage des années, un aveuglement politique occasionnel puisse imposer à la Bibliothèque Nationale un nom de signification moins glorieux que celui de Martí, ou qui pourrait être discutable et même contesté par une partie du peuple cubain. Le nom de Martí sera, sans aucun doute, unanimement accepté et irrévocable à tout moment.
Le danger d'une dénomination impropre et inattendue, mue par une opinion politique improvisée ou circonstancielle, ne doit pas être ignoré, car des exemples de ces incongruités regrettables entre ce que doit signifier la dédicace des monuments et des édifices publics et les mérites des personnes avec lesquels ils ont été surnommés ne manquent pas à Cuba ; lesquelles, même s'ils étaient très respectables dans le privé ou dans un certain rayon de leur vie officielle, il ne me semble pas qu’ils doivent occuper des places d'honneur qui, dans les parcs, les rues, sur les piédestaux et les frontispices des bâtiments institutionnels, doivent primordialement être destinés à honorer les martyrs cubains, les patriotes ou les phares de la culture de la patrie d’un respect plus unanime et d’une mémoire vénérée. Surtout, quand tant de martyrs et de patriciens de notre histoire et de quelques amis de Cuba (par exemple Las Casas, Humboldt et Garibaldi) attendent encore un témoignage national de leur glorieuse mémoire pour la satisfaction populaire. Les exemples que l’on peut cité de la légèreté avec laquelle nous avons péché parfois à Cuba quant à ce défaut des commémorations précipitées ne sont pas rares, plus grave encore si nous rappelons les justes commémorations qui ont été tardives et celles qui n’ont pas encore eu lieu. Rappelons-nous, à Cuba il y a des années, le cas inouï d'un président qui, le même jour de la fin de son mandat, a personnellement inauguré sa statue dans la capitale de la République, qui ne compte pas encore des monuments dédiés à Narciso López, Carlos Manuel de Céspedes, Ignacio Agramonte, ni à d’autres grandes personnalités de notre histoire qui sont mortes pour Cuba et qui ont mérité et conservent l'affection de votre peuple.
(…)
Je vous prie de me pardonner pour ces lignes que je vous adresse comme Premier Ministre et Président de la Commission Pro-Monumento à Martí, désireux d'être utile, recevez Dr. Manuel A. de Varona, ma haute considération et mon estime personnelle.
Cordialement vôtre
Fernando Ortiz
Fragments de la Lettre ouverte au Premier Ministre. Publiée dans Bohemia, La Havane, année 41, Nº 25, 19 juin 1949, pp. 59 et 82.
Deje un comentario