Penser en tant que pays : variations sur une idée


penser-en-tant-que-pays-variations-sur-une-idee
Photo : Paysage créole, Carlos Enriquez

-Et pour toi, qu'est-ce que c’est, dans mon cas, penser en tant que pays ?

La question survient au cours de la réunion d'un groupe de personnes plus ou moins connues, dont certaines ont une haute responsabilité publique. Dit ainsi, de manière directe, c'est le genre d’interpellation qu’il est impossible de considérer comme une plaisanterie ou de la laisser de côté, tout simplement. Comment répondre à une telle question, sans en faire un cliché, confortable et susceptible d'être utilisé dans des interventions où l'on veut montrer de l'énergie et de la conviction ?

La première chose que j'imagine, c’est qu'il s'agit d'une proposition qui, lancée par une haute figure du gouvernement (le président du pays), pour être reçue par les citoyens d'un espace ayant les conditions de Cuba, contient aussi bien une indication politique qu’une invitation à la participation, dans une terre où les demandes de transformation interne qui se confrontent dans le système se croisent et se heurtent aux pressions externes pour retarder tout progrès imaginable et/ou le détruire complètement.

Pourquoi la proposition demande-t-elle de PENSER ? Pourquoi dois-je « penser » alors que, on le suppose, je pense déjà ? Ou, pour explorer la phrase à l’envers, à quoi je ne pense pas quand je pense ? En quoi tout cela concerne-t-il le pays ? Le contenu de la réponse change dans la mesure où celui qui interpelle se considère impliqué, non pas comme un spectateur solitaire, mais comme un acteur de cela même qu'il cherche à découvrir, c'est-à-dire dans la mesure où le questionnement va au-delà de la définition du contenu de la phrase (qu'est-ce que c'est, penser en tant que pays ?) ou de la demande à un autre de nous décrire un catalogue d'actions à suivre (pour toi, qu'est-ce que c'est, dans mon cas, penser en tant que pays ?).

La question commence à prendre tout son sens pour autant qu’elle est orientée vers le fait que celui qui questionne trouve parmi ses idées et/ou ses actions individuelles et les destinées du pays – aux niveaux et dans les scénarios les plus divers – dans un acte de penser qui, se sachant structurellement connecté à la dialectique entre difficulté et développement, crise et dépassement, problème et solutions, ne peut que tendre, de manière continue, au développement permanent de la culture, au renforcement de la capacité d'analyse, à la lecture (de plus en plus profonde) du contexte, à l'exploration de la nouveauté, à la stimulation de la créativité et de l'innovation, ainsi qu'à la célébration de cette capacité d'imaginer et de rêver qui s'oppose à la formalisation et à la bureaucratisation de l'esprit et des processus, pour aller à la rencontre de nouveaux chemins.

À partir de là, la pensée qui déborde le sujet individuel – qui désormais n'élaborerait plus en tant que moi isolé, mais à partir de la dimension, de l'histoire, des problèmes, des défis et des capacités de tout un pays – équivaut à observer, suivre, sentir, faire partie des points critiques et des efforts pour y remédier dans une sorte de « raisonnement en action » et répond à la demande en découvrant, étudiant, discutant, proposant des possibilités de progrès et en imaginant des voies vers la croissance et la durabilité, dans un cadre de justice sociale étendue.

À quoi dois-je penser ? Comment, à partir de chacun de ses citoyens, un pays se construit-il ? Que faire que nous ne faisons pas ? Comment faire en sorte que le rêve soit possible ? Comment comprendre ce que signifie le fait qu'aucun espace, aucun moment, aucune tâche n’est petit ou de peu de valeur pour le mouvement immense que représente la construction de l'avenir ?

Je crois que le sens ultime de tout cela conduit à revoir la manière dont je suis dans le pays, dont j’identifie toutes ses composantes, dont je me connecte avec elles, j’analyse les fractures et les vides, je m'interroge, mille et une fois, sur des solutions possibles, dont je questionne, je défends, je souffre et je me réjouis. Et, puisque l'idéal du processus est qu'il se répète à tous les niveaux (individuel, professionnel, étudiant, dans le quartier, la communauté, dans les comités de base, dans les diverses instances des organisations de la société civile ou des organisations politiques), alors « penser en tant que pays » équivaut à soutenir, développer, intensifier, élargir et approfondir le dialogue social dans la Cuba d'aujourd'hui.

Et dans celle que nous serons capables de construire, à nous tous, une fois de plus.


0 commentaires

Deje un comentario



v5.1 ©2019
Développé par Cubarte