J'ai toujours voulu visiter Playita de Cajobabo. J’aspirais à connaître un site de pèlerinage, un lieu sacré de la patrie. Quand j’ai pu le faire, l'expérience a été émouvante. Dans ce paysage particulier, sautant par-dessus le temps écoulé, je touchais des mains la présence vivante de l'Apôtre.
En plein jour, sous un soleil resplendissant, j’ai senti le sable dur et rugueux, si distincte de cet autre, doux et fin, mince, où pouvait jouer - avec un cerceau, un seau et une pelle - la petite fille aux chaussures roses. Des rochers affilés comme des griffes sortant de la mer. J'imaginais alors cette nuit sombre de 1895, quand les rameurs luttaient contre les vagues, échappant aux menaces cachées par l'eau après avoir échappé au harcèlement d'un ennemi bien informé sur le mouvement des conspirateurs.
Parmi ces hommes aux mains tannées, José Martí tendait ses muscles dans un effort énorme. Faible du corps, de santé précaire, marquée par les plaies ouvertes des chaînes dans son temps d’adolescent soumis au travail forcé dans les carrières de La Havane, il chargeait fusil, balles, trousse de premiers soins, livres et papiers. Il a surmonté la douleur et l'épuisement, car l'île l'attendait. Après le débarquement, il a reçu la splendeur de la nature vierge, l'accueil généreux des paysans disposés à offrir un hamac pour le repos, et de la nourriture pour reprendre la force et continuer la marche dure qui fraternisait les hommes.
Durant son bref passage qui l'a conduit à Dos Ríos, Martí n’a pas connu le repos. Quand les autres dormaient, il fixa ses expériences dans un journal qui constitue l'un des plus beaux textes littéraires de notre langue. Fait à la hâte et dépouillé d'artifices, il annonce certaines audaces de l'avant-garde. Les pages semblent germer d'un puissant besoin intérieur. Il les a écrites, sans doute, en offrant des moments de plénitude et de jouissance, car lors des nuits fébriles et de sommeil rare, le devoir, toujours vigilant, lui demandait d'autres tâches. Il devait continuer la défense de Cuba dans la presse de New York. La tendresse impose aussi son mandat exigeant. Il a trouvé le temps de conseiller la petite Maria Mantilla sur son avenir possible en tant qu'enseignante dans sa propre école et sur les exigences de l'art de la traduction.
Il est revenu à son projet envers les pauvres de la terre. La pauvreté a été sa compagne de toujours, dès son premier âge dans la modeste maison de La Havane. Encore enfant, il a travaillé comme scribe de son père, ouvrier et soldat, dans les travaux qu'il a entrepris dans l’Hanábana. Il doit son talent et sa grande volonté à l’aide apportés par son maître Mendive. Il a souffert l'horreur des travaux forcés dans les carrières avec les réprouvés du monde. Il a terminé ses études à Saragosse, il a abandonné la commode carrière d'avocat. Il a opté pour le sacrifice ultime afin d’ouvrir le chemin à la cristallisation tangible du rêve de la patrie. Il s’est converti en pèlerin et apprenti de l'Amérique. Au Mexique, au Venezuela, au Guatemala, son travail quotidien d'enseignant et de journaliste lui a permis de connaître, depuis le plus profond de la réalité, le panorama de nos républiques maltraitées. Avec ces armes, il a commencé sa tâche définitive aux États-Unis.
L'homme portant une redingote usée et de fragile constitution physique a alors réalisé une tâche gigantesque. Il savait que le pays se tournait vers son destin impérial mieux que ses contemporains situés des deux côtés de l'Atlantique. Il percevait que l'avenir de son île était lié, d'une manière inséparable, à celui de notre Amérique. Il a canalisé les volontés. Il l'a fait dans les espaces publics à travers ses paroles ardentes et en contact direct avec les personnes. Adhérant aux caractéristiques de son interlocuteur, il a employé la persuasion et il a été intransigeant envers les principes quand il l'a jugé nécessaire. C'est ce que révèle sa correspondance. L’oralité a effacé de nombreuses choses. Les visites à Key West ont répondu à la nécessité d'impliquer les travailleurs dans la bataille de tous. Hébergé dans la maison des cigariers, partageant l'abri, la nourriture et la vie quotidienne, il a trouvé le souffle, le privilège et la compensation spirituelle. Homme des idées, il n’a jamais fait d’elles des notions abstraites stérilisantes, car il a jeté l'ancre dans les profondeurs de la réalité sociale et dans la dimension concrète des êtres humains.
J'avoue que je ne suis pas satisfaite de la statue de marbre érigée pour perpétuer la mémoire et l'hommage. Je préfère évoquer l'homme au front large et à la lévite élimée qui peut continuer à marcher parmi nous en tant que maître de la conduite et de la parole, capable de transcender les temps pour rester utile lors des époques de grands défis, quand les batailles se livrent dans le plan de l'économie et dans le domaine subtil et immatériel des subjectivités.
Avec une foi inébranlable dans l'amélioration humaine, l'homme de La Edad de Oro a semé l'avenir chez les enfants de notre Amérique. Il est entré comme un ami dans leur environnement le plus proche pour évoquer les héros, offrir des poèmes, conter des fables et ouvrir des horizons vers un monde sans frontières, depuis l'exposition internationale de Paris jusqu’à la vie des Annamites. Ainsi, en tant que présence familiale, il doit demeurer parmi nous, bien au-delà des éphémérides que nous commémorons toujours. Les siennes, comme tant d'autres, ne peuvent pas être réduites à l'accomplissement de routine d'une tâche. Son énorme héritage, palpitant de raison et de passion, ne doit pas aussi se limiter à la répétition de citations, d’apophtegmes, extraits de leurs contextes et déjà intégrées au savoir commun. Sortons donc à la rencontre de l'être humain couvert de cicatrices et de larmes. Cette proximité émouvante agrandira le message d'un pèlerin qui traverse tous les temps et, à l'heure actuelle, continue à marcher parmi nous.
Deje un comentario