• La Révolution, dans sa dimension objective, constitue un processus politique de changement, qui modifie le cours de l’histoire et provoque des bouleversements radicaux dans le mode de vie des gens. À plusieurs reprises, certains ont voulu chanter le dernier couplet de la Révolution cubaine, parce qu’ils ne comprennent pas qu’un processus révolutionnaire puisse se prolonger au-delà d’un demi-siècle. Une fois Santa Clara prise, un soldat avait dit au Che que la Révolution était terminée, ce à quoi le Guerrillero héroïque avait répondu : « Au contraire, c’est maintenant qu’elle commence. »
La Révolution insère Cuba dans une corrélation de forces à l’échelle mondiale, pour ou contre le statu quo ; une collision quotidienne (parfois silencieuse, parfois bruyante) entre deux projets civilisationnels : celui qui cherche à perpétuer l’exploitation de l’homme par l’homme, comme noyau fondamental de la vie en société, et celui qui cherche à modifier cette essence en faveur de la construction d’un monde où règnent la fraternité, la liberté et l’égalité. Tant que Cuba plaidera pour ce projet alternatif d’existence sociale, la Révolution se poursuivra.
Mais la dimension objective de toute Révolution n’existe que tant que des hommes et des femmes sont prêts à continuer à se battre, et pas dans n’importe quelle lutte, mais dans une lutte radicale. « Le vrai homme va à la racine », a dit José Marti, et ce sont ces êtres humains-là que tout mouvement révolutionnaire exige pour se surpasser : des gens qui vont à la racine des problèmes, racines qui, du point de vue marxiste, résident dans la façon dont nous nous organisons en tant que société pour générer et distribuer la richesse. Néanmoins, la radicalité est une condition nécessaire, mais pas suffisante.
Nous, les révolutionnaires, devons également œuvrer à partir de l’engagement le plus profond envers l’éthique, et pas une quelconque éthique, mais une éthique qui montre dans sa hiérarchisation un système de valeurs guidé par la justice, ce « soleil du monde moral » comme l’appela José de la Luz y Caballero. Nous, les révolutionnaires, et en particulier les révolutionnaires cubains, devons être à la hauteur d’un héritage éthique que nous pourrions faire remonter au 19e siècle.
Peu de nations peuvent s’enorgueillir de pères fondateurs qui ont privilégié la pensée, comme [le père Felix] Varela ; défendu la dignité, comme Cespedes ; eu la décence et l’esprit de sacrifice d’Agramonte ; fait preuve de cohérence absolue entre action et pensée comme José Marti. Seuls les individus qui ont tenté de s’inspirer de ces héros, qui ont été les héritiers de ce réservoir moral, ont atteint leurs objectifs de conduire le peuple cubain au cours de bouleversements révolutionnaires. Nous qui sommes nés sur cette Île ne suivons ni les démagogues ni les lâches.
Ajoutons à cette éthique l’intelligence, non pas celle qui est le résultat de la loterie génétique, mais celle qui est le produit de la culture. Si avec Marti nous disons : « Être cultivé est la seule façon d’être libre », il nous faut dire aussi aujourd’hui : « Être cultivé est le seul moyen d’être vraiment révolutionnaire ». La banalité, la stupidité, la frivolité, sont des attributs qui reproduisent de façon organique, à travers le « sens commun », les schémas sociaux d’exploitation.
Avant de changer le monde, il nous faut le comprendre, ou du moins essayer de faire les deux en même temps. Avec l’ignorance, non seulement nous nous battrons dans le flou, tels « des instruments aveugles de notre propre destruction », mais nous finirons par être prisonniers de préjugés et de craintes puériles. Sénèque disait que l’ignorance était à l’origine de la peur et nous pouvons affirmer que la culture est une plate-forme essentielle pour tout exercice soutenu de courage. La témérité absurde n’est utile qu’à court terme : le courage, celui qui persiste au fil des années et des désenchantements, ne s’obtient qu’avec des convictions.
Et si la culture et l’éthique sont des paramètres essentiels, il est également essentiel de comprendre que la condition révolutionnaire est basée sur l’intersubjectivité : un homme seul ne pourra jamais être révolutionnaire, car la Révolution exige que nous trouvions dans l’Autre l’allié de la lutte contre l’ennemi commun. Cette intersubjectivité, cette alliance avec l’Autre, nécessite de l’organisation.
Selon Marx : « Dans sa lutte contre le pouvoir uni des classes possédantes, le prolétariat ne peut agir comme une classe, mais en se constituant lui-même comme son propre parti politique et opposé à tous les anciens partis formés par les classes possédantes. (...)
[C’est] indispensable pour assurer le triomphe de la révolution sociale et le succès de sa fin suprême : l’abolition des classes. »
Avec cette organisation, avec cette éthique, avec cette culture, nous, révolutionnaires cubains, pourrons continuer à militer dans le camp de ceux qui « aiment et qui fondent », dans ce groupe d’êtres humains qui, comme le disait Claudio Magris, n’habite pas un monde achevé et épuisé en soi, mais qui est incomplet et ouvert à des choses différentes et meilleures
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