Grandeurs et certitudes du Benny


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De la danse au pur sentiment, il les a toujours traversés comme si c’était une voie naturelle. Photo: Granma Archive

DÈS sa naissance, Bartolomé Maximiliano Moré reçut ce qui lui revenait : l'héritage africain de ses ancêtres dans le voisinage du Casino (centre culturel et religieux afro-cubain) des Congos, à Santa Isabel de las Lajas (Cienfuegos), la robustesse rayonnante des gens humbles, l'éthique de ceux qui n'ont rien à perdre. Il eut la chance de survivre, car combien comme lui ne se sont-ils pas perdus dans une Cuba où être paysan, Noir et pauvre était la dernière carte du jeu. Il portait la musique en lui, il fallait juste la réveiller.

Des allées et venues à travers l’Île pour gagner sa pitance, peu d’école, mais une bonne maîtrise des lettres et des chiffres. Vendeur ambulant à Vertientes, Camagüey, et pratiquant appliqué du « tres » (guitare à trois doubles cordes) et de la guitare.

Vivre de la musique? Il fallait se lancer, le petit groupe de Camagüey de ses débuts ne le lui permettait pas ; La Havane, terre promise. Bartolo fit quelques tentatives, ici et là, dans la capitale, de bar en bar, et beaucoup de restaurants pour tuer la faim, et quelques groupes qui ne durèrent pas plus que le temps d’une chanson, jusqu'à ce que Mozo Borgella lui tende la main, tout en se rendant service, car c'était la meilleure voix qui pouvait signer au Septeto Cauto. Et du Septeto de Cauto à l'ensemble de Miguel Matamoros. Et avec Matamoros direction le Mexique. Fin de la préhistoire et naissance d'un mythe.

Le 21 juin 1945, Benny arriva à Mexico, et il resta sur le sol mexicain jusqu'à son retour sur l’Île en 1952, presque sept années décisives pour son épanouissement artistique. Il voyagea avec l’ensemble de Miguel Matamoros, qui l'avait admis dans le groupe en 1944 pour quelques séances d’enregistrement au studio de la RCA Victor, à l'intersection des rues Monte et Prado, à La Havane.

À peine débarqué à Mexico, les portes du succès s’ouvrirent pour Benny. Avec Matamoros, il se présenta à la station de radio XEW d'Azcarraga et il animait les nuits du cabaret Rio Rosa. Le contrat expira quelques mois plus tard et les musiciens prirent le chemin du retour ; Benny décida de rester au Mexique. Matamoros lui donna quelques conseils : « Fais-toi un nom, travaille et respecte les Mexicains, ne t’adonne pas trop à la boisson – un conseil qui ne parvint pas aux oreilles du jeune homme – et ne tourne pas le dos à ceux qui t’aident. »

Il changea de nom, essayant d'abord Homero. Pas Bartolomé, parce que c’était difficile de le faire accepter par le public, et le diminutif Bartolo, pas question : c'est ainsi qu'on appelait les ânes au Mexique. Benny sonnait bien, comme le jazzman étasunien Benny Goodman. Benny Moré naissait pour la deuxième fois.

C'est ainsi qu'il s'est inséré dans la vie musicale mexicaine. La grande impulsion est venue de Humberto Cané, un contrebassiste qui dirigeait un groupe de son – au Mexique, on parlait à l'époque de rythmes afro-antillais – qui introduisit Benny dans l'orbite de Mariano Rivera Conde, à cette époque directeur du RCA Victor mexicain, et artisan de ce qui serait le contrat définitif du Cubain avec ce label en tant qu’artiste exclusif.

Avec les orchestres de quatre autres grands musiciens cubains, Benny s’imposa à cette époque dans les goûts du public mexicain : Mariano Merceron, Arturo Nuñez, Rafael de Paz et, bien sûr, Damaso Pérez Prado. Bien que d'autres avant et après lui aient chanté des mambos, le mambo chanté n'a jamais eu autant de saveur que dans la voix de Benny.

À Cuba, une date fut décisive : le 3 août 1953, première représentation de la Banda Gigante (Grand Orchestre) à la CMQ, avec Cascabeles Candado. Un an s'était écoulé depuis son retour sur l'Île ; il avait rencontré Mariano Merceron à Santiago de Cuba ; fait connaissance de l'orchestre en vogue Aragon ; collaboré avec d'autres collègues, dont l'immense Bebo Valdés, et était en première ligne de l’orchestre d’Ernesto Duarte.

Avec la Banda Gigante, Benny peaufina l'environnement rythmique, le timbre et l’harmonie qui caractérisa ses productions, dans lesquelles, outre le discours vocal, il y avait l’aspect performance. Parce que Benny, un génie et une personnalité, était un sacré personnage.

Cela l'amena à se connecter, comme peu d'artistes, vers le milieu du siècle dernier, avec la sensibilité populaire, certes, sans se limiter à une formulation étroite, mais toujours en avance sur son temps. Il lui suffisait d’une simple structure rythmique pour construire des gratte-ciel, comme en témoignent des titres comme Qué bueno baila usted ou Se te cayo el tabaco, ou celles dédiées aux villes de Cienfuegos, Manzanillo ou Santa Isabel de las Lajas, ou empruntées à d'autres auteurs comme Maracaibo oriental (José Castañeda) et Elige tu, que canto yo (Joseito Fernandez).

De la danse au pur sentiment, il les traversa toujours comme si c’était une voie naturelle. Il n'était pas seulement, comme on l'a baptisé, le « Barbaro del ritmo » (Le roi du rythme), mais l'un des plus grands compositeurs de boléro jamais entendus. Comment rester indifférent face à Mi amor fugaz, Conocí la paz ou Dolor y perdon, dont il était le compositeur ; Hoy como ayer, de Pedro Vega ; Oh, vida, de Yáñez y Gomez ; Alma libre, de Juan Bruno Tarrazas ou Qué te hace penar, de Ricardito Pérez ? Ou quand il nous enveloppe dans un duo avec Pedro Vargas dans Solo una vez, d'Agustin Lara.

Il en fut ainsi jusqu'au dernier jour. Il est temps maintenant d’en finir avec un mythe, celui du brillant musicien qui ne connaissait pas la musique.

Une voix autorisée, celle du Dr Jesus Gomez Cairo, a déclaré : « Benny Moré connaissait et maîtrisait empiriquement, mais avec une profondeur et une richesse extraordinaires, un ensemble de règles, de ressources et de procédures dans les domaines du chant, de la direction d’orchestre, des éléments suffisants d'instrumentation, d'harmonie et des manières de structurer la composition de ses pièces, auxquelles il ajoutait cette énorme intuition créatrice dont il était doté de manière congénitale. »

Un autre argument est-il nécessaire pour attester de sa grandeur ?

 


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