Il est courant de parler de Carlos III à La Havane. Une grande avenue rappelle l'admiration des hommes illustrés de cette ville pour le monarque de la Maison des Bourbon. Duc de Parme (1731-1735), roi de Naples et de Sicile (1734-1759), d'Espagne (1759-1788), fils de Felipe V et d’Isabel de Farnesio, il a gouverné dans la ligne du despotisme illustré. Ses réformes dans l'agriculture, l’industrie, l’éducation, l’armée, la banque et d’autres secteurs ont renforcé l'Espagne en tant que nation. Entouré de conseillers et de ministres libéraux, son gouvernement a réanimé le prestige international et le bien-être de l'Espagne. En Amérique, il a réussi à maintenir l'intégrité de l'Empire, il a promue des nouvelles institutions pour l'administration publique, l'agriculture et le commerce, il a aboli les monopoles commerciaux, diminué les impôts, nommé des gouverneurs et des fonctionnaires progressistes.
Après le retrait des troupes de l'occupation anglaise en 1763, les Capitaines Généraux désignés pour Cuba ont administré l’île avec des mesures similaires. En juillet de cette année-là, Ambrosio Funes de Villalpando (1763-1765), comte de Ricla, a commencé son mandat. Le renforcement militaire, la réorganisation de l'économie et l'administration de l'île étaient des priorités. Il a restauré la forteresse du Morro et il a fait construire La Cabaña et le château Atarés, des œuvres pour lesquelles il avait besoin de l'ouverture temporaire du commerce avec l'Amérique du Nord. De même, il a aussi créé l'Intendance Générale de l'Armée et du Trésor, éliminé les privilèges de la Compagnie Royale de La Havane, institué la liste ou le registre des habitants afin d’organiser des milices, divisé la ville en districts, numéroté les maisons, nommé les rues, ordonné l'élection des commissaires de quartier pour le fonctionnement de la police. Au cours de cette période, l’accomplissement des dispositions internes était un complément essentiel, comme celui du monopole de Cadix pour ouvrir un commerce dans l'île avec d'autres ports espagnols et l'extension de l’activité avec les ports de Santiago de Cuba, Trinidad et Batabanó.
Felipe de Fondesviela, marquis de la Torre (1771-1776), a suivi le concept de la ville moderne. Durant son séjour il a réussi à établir un plan continu des travaux publics pour améliorer les communications et embellir la capitale. Ses initiatives incluent l'Alameda de Paula, le premier théâtre – El Principal -, la Maison du Gouvernement, la planification de la Plaza de Armas et le Paseo de Extramuros, appelé Prado plus tard. Il fonde des nouvelles villes - Guines, Jaruco, Pinar del Río à l'intérieur de l’île, - il fait ouvrir et élargir les routes, il fait construire des ponts, des quais et des casernes.
Carlos III décède en 1788, l'influence de sa politique réformiste a continué avec un autre représentant typique du « despotisme éclairé », le Maréchal de camp, puis Lieutenant Général Luis de las Casas y Aragorri (1790-1796). Ce gouverneur s'est distingué pour inciter le progrès, les initiatives économiques et l'administration des ressources officielles dans les œuvres publiques : La Maison de Bienfaisance, le Consulat Royal de l'Agriculture et du Commerce, le journal Papel Periódico de La Habana, la Société Économique des Amis du Pays et sa bibliothèque publique. De même, il a voté pour l'augmentation de la traite des Noirs et la réduction des impôts pour la promotion des centrales sucrières, des plantations de café et d'autres productions agricoles.
Un des principaux collaborateurs de Luis de las Casas, le docteur havanais Tomás Romay y Chacon, a remporté le concours organisé par la Société Économique des Amis du Pays, en 1794, charger de décider quatre personnalités méritantes de la reconnaissance havanaise afin d’ériger une statue. Dans son discours sur les quatre personnalités les plus louables quant à la gratitude de toute l'île de Cuba, il a proposé Christophe Colomb, Juan Caraballo, Martín Calvo de la Puerta et Carlos III.
L'inscription proposée par Tomás Romay pour la statue de Carlos III contient la pensée des intellectuels réformistes cubains et leurs liens politiques avec le despotisme illustré :
« A CARLOS III / RESTAURATEUR DE LA HAVANE / ET PROTECTEUR/ DE SON COMMERCE / LE PEUPLE RECONNAISSANT/ ET TOUJOURS TRÈS FIDEL/ ANNÉE 1794 ».
Dans la salle Glyptothèque - Musée des sculptures – du Palais des Capitaines Généraux, nous pouvons revivre le moment du dévoilage de la statue de Carlos III, le 4 novembre 1803. Sa détérioration superficielle à cause de l'action des agents externes ne transmet pas son antique majesté, mais on peut voir la cérémonie quand le Capitaine Général Salvador del Muro y Salazar, Marquis de Someruelos et le Lieutenant Général de l’Armée Royale Espagnole et ministère de la Marine, Juan Araoz, ont tiré sur les cordons pour dévoiler la statue alors que tous criaient « Vive le Roi ! »
L’œuvre a été sculptée en 1799 dans du marbre de Carrare par le directeur de l'Académie de Cadix et académicien du mérite de la Royale de San Fernando, Cosme Velásquez. Pour confirmer ses valeurs artistiques, Eugenio Sánchez de Fuentes, auteur de Cuba monumental, estatuaria y epigráfica (1916), mentionne la tentative des négociations réalisées en 1901 par le Cabildo de Madrid pour acheter la sculpture à la Marie de La Havane afin de la placée sur la Puerta de Alcalá.
La représentation pédestre avec le manteau et les insignes de la Grand-croix de l'Ordre Royal de Carlos III – créée par lui -, la coiffure caractéristique avec les boucles et la queue, porte l’épée à la ceinture et le sceptre à la main. Elle était placée initialement sur la petite place du Paseo de Extramuros – l’actuel Prado - sur un piédestal de pierre et portait l'inscription:
« A CARLOS III LE PEUPLE DE LA HAVANE : ANNÉE 1803 ».
La cérémonie a été le motif de festivités et de distinction : elle a compté la présence des compagnies de grenadiers des corps de garnison, des cadets de toutes les unités militaires, des officiers de l’Armée et de la Marine, des organismes civils, l’évêque Espada – récemment arrivé -, des prélats des communautés religieuses, des membres du Trésor Royal et des nobles de Castille. Les résidents du quartier Salud, la zone du parcours des défilés, des cortèges et des carrosses pour participer à la soirée, ont eu la permission du Marquis de Someruelos de profiter des bals, des chants et des autres manifestations festives.
Les plans d’urbanisation de La Havane développés par Miguel Tacón Rosiques (1834-1838) comprenaient la construction d'une promenade pour la communication efficace des troupes du Château del Príncipe et de la récréation des résidents. Ainsi, le Paseo Militar ou Alameda de Tacón a été tracé depuis l’actuelle rue Reina jusqu’au Château del Príncipe.
En 1837, l’intendant Claudio Martínez de Pinillos, Comte de Villanueva, a ordonné la mise en place de la Fontaine de l'Inde sur l’Alameda de Extramuros, face à la porte Est du Champ de Mars, à l’endroit qu’occupait la statue de Carlos III. À cette époque, la statue du roi a été replacée au centre de la première rotonde du Paseo ou Alameda de Tacón.
Malgré les propositions répétées de la placer dans le Musée National, dès les années 1920 avec l'argument qu’elle gênait le croissant trafic de véhicules, le monument au roi illustré n’a été enlevé que dans les années 1980 pour être installer sous la galerie du Musée de la Ville, l’ancien Palais des Capitaines Généraux. En 2006, quand la salle Glyptothèque a été créée, on peut l’observer à travers la porte de Mercaderes, comme une partie de l'environnement de la placette de Santo Domingo.
Carlos III, une avenue
Vision du futur ? Expression autoritaire ? Rivalité constructive avec l’intendant Pinillos ? Depuis les plans, presque tout vaut pour évaluer l’ancien Paseo de Tacón, mais tous les jours, les Havanais transitent avec plaisir sur cette avenue, appeler Carlos III à partir de 1836, année du placement de la statue du roi sur sa première rotonde. Cette dénomination traditionnelle s’est imposée sur le nom officiel de cette artère, Salvador Allende, approuvé en 1973 en hommage au président chilien.
En 1936, l'historien de la ville Emilio Roig de Leuchsenring, a présenté la proposition à la mairie – ensuite adoptée – de restaurer son nom populaire, changé en 1902 par cette institution pour Avenida de la Independencia. À cette époque, Emilio Roig a allégué l'importance des mesures libérales réalisées par le monarque pour l'économie et la société cubaine.
Hormis les qualificatifs, sa longueur est de plus de mille deux cents mètres, depuis la rue San Luis Gonzaga – Reina - jusqu'au Château del Príncipe ; sa largeur dépasse les cinquante mètres. Finie en 1839, la première année du gouvernement de Joaquín Ezpeleta, successeur de Tacón, elle comptait quatre rangées d'arbres le long des trois voies, deux latérales pour les piétons et une centrale pour les attelages. Les passants pouvaient profiter d'une agréable promenade à travers cinq rotondes ou gloriettes comptant des grilles, des bancs de pierre et des divers éléments décoratifs.
En plus de la statue de Carlos III, placée près de l'intersection avec la rue Belascoain, quatre fontaines en marbre ont été érigées entre 1836 et 1837.
Entre les rue Marqués González et Oquendo se trouvait la Colonne ou Fontaine de Cérès, déesse de l'agriculture, dont les angles de son piédestal étaient décorés par quatre figures allégoriques des saisons.
La Fontaine de los Aldeanos ou de las Frutas, occupait un espace à la confluence avec la Calzada de Carraguao, renommée ensuite Infanta María Luisa Fernanda.
Ses effigies représentaient la force, la beauté, la poésie et l'amour. La Fontaine de los Sátiros ou de las Flores était placée en face de l'entrée de la Quinta de los Molinos, cet ensemble simule un temple grec sur lequel se trouvaient deux faunes accompagnés de lions endormis.
À la fin du Paseo, comme point de départ de la Calzada de Zapata, se trouvait la Fontaine d’Asclépios, Dieu de la médecine ; selon les chroniqueurs, c'était une œuvre de peu de valeur artistique avec la touche ironique de commencer la seule route existante, durant le XIXe siècle, jusqu'au Cimetière de Colón.
De nombreuses modifications ont été apportées sur l'Avenue Carlos III. Les arbres ont été supprimés en 1955 ; deux ans plus tard l’avenue a été élargie de puis la Calzada de Infanta jusqu'au Château del Príncipe, sur des terres expropriées à l'Université de La Havane et de l’Institut Nº 1 de l’Enseignement Secondaire de La Havane. Sur cette bande, en 1938, on avait construit l’École d'Ingénierie Agronomique dans la Quinta de los Molinos, et, en 1942, l'École d’Odontologie, à l’angle de la rue G. Ceci sans compter les modifications et les réparations réalisées durant les gouvernements de Pedro de Alcántara Téllez Girón, Prince d'Anglona (1841-1843) et de Federico Roncali y Ceruti, Comte de Alcoy (1848-1850)
Les rigueurs de l'environnement, la croissance du trafic et l'action humaine ont causé des dommages aux éléments décoratifs de la Alameda de Tacón. Les promenades en calèches, la brise dans les arbres, la tranquillité de se promener ont cédé la place aux conséquences de la vie moderne. Carlos III continue à être une avenue commerciale, administrative, possédant une belle architecture. De retour à la maison nous voyons, à travers les fenêtres de l'autobus ou de la voiture, des édifices tels que la Compagnie Cubaine d'Électricité (1958), le Grand Temple Maçonnique (1954), ses maisons du XIXe siècle avec leurs péristyles, leurs ferronneries et leur classicisme, révélant le chemin du souvenir et de la continuation.
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